En avion pour l’île de Pâques, je regarde par le hublot cette parcelle de terre habitable, une des plus isolée au monde (à 3700 kms des côtes du Chili et à 2100 kms de Pitcairn , l’île polynésienne la plus proche), perdue dans l’immensité de l’Océan Pacifique. La terre des géants Moaï abrite le mystère d’une civilisation qui est née de peu vers 900 après JC (les premiers polynésiens sont arrivés par des pirogues de 3m pouvant transporter 1 à 2 personnes), de loin (20 jours de navigation depuis Pitcairn), qui a connu un apogée entre 1400 et 1600 avec environ 15 000 habitants et 12 chefferies, puis s’est effondré vers 1600 après JC.

Comment cela a-t-il pu se passer ? Quelques pistes de réponses grâce au précieux travail de Jared Diamond.

Lorsque je voyage, j’aime bien me renseigner sur l’histoire du pays dans lequel je séjourne (c’est toujours plus ou moins une découverte étant donnée que l’Histoire enseignée à l’école est très centrée sur l’Europe). Le livre le plus intéressant sur l’histoire de l’île de Pâques est celui de Jared Diamond  : Effondrement : comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie. J’en parle un peu plus loin.

Statues de l’île de Pâques

Ce qui frappe bien-sûr lorsqu’on arrive sur l’île de Pâques, ce sont ces immenses statues construites par la civilisation Rapanui : 397 sont disséminées sur toute l’île, dont certaines encore dans leur carrière (signe d’un effondrement assez brutal de la civilisation Rapa Nui).

jared diamond effondrement

Carrière de géants Moais (on en voit 2, un visage à droite au 1er plan, celui sous la pierre visage à gauche)

La plus haute fait 21m (un immeuble de 5 étages!) mais n’a pas été déplacée de la carrière du volcan Rano Raraku . La statue la plus haute déplacée fait 10 m tout de même, mais la plupart font entre 4 et 6m de hauteur et sont posées sur des plate-formes très grandes et très lourdes, le regard tourné vers l’intérieur de l’île. Seules celles des sites d’Ahu Akivi, les plus belles aussi, sont tournées vers l’horizon marin.

effondrement jared diamond

Particularités géographiques et climatiques de l’île de Pâques

volcan rano kau

Volcan Rano Kau

L’île de Pâques est une île triangulaire formée par 3 volcans et d’environ 14 kms seulement de large. Les premiers polynésiens à coloniser l’île l’ont sans doute repérée grâce aux oiseaux qui nichaient sur l’île : ceux-ci vont chercher leur nourriture dans un rayon de 150 kms autour de leur lieu de nidification, ce qui fait que l’île est « repérable » (grâce à la présence d’oiseaux dans le ciel) dans un cercle de 300 kms de diamètre.

Les principales différences de l’île de Pâques par rapport aux autres îles polynésiennes d’où venaient ses habitants sont :

  • un climat plus froid,
  • moins d’espèces de poissons disponibles aux alentours de l’île,
  • pas de barrières de corail, d’où moins de coquillages ,
  • beaucoup de vent.

Ces paramètres défavorables ont joué un grand rôle dans le manque de renouvellement des ressources et l’effondrement de la civilisation Rapanui.

Les fouilles archéologiques attestent de la présence originelle de nombreuses espèces d’arbres sur l’île, dont des palmiers. Ce sont d’ailleurs les troncs de ces arbres qui ont servi à déplacer les immenses statues Moaï.

Effondrement : comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie.

A l’aide de données archéologiques et de ses connaissances biologiques et anthropologiques, Jared Diamond fournit un travail de reconstitution unique de l’histoire de la société Rapanui. Son livre (Effondrement : comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie) m’a vraiment passionné car il est très bien documenté, abordable (Jared Diamond fait un travail de vulgarisation énorme) et apporte beaucoup d’éléments de réponse, les plus scientifiques et plausibles qui aient jamais été proposés.

ahu tahai

Ahu Tahai au 1er plan et Ahu Vai Uri derrière

Dans son étude de l’effondrement de différentes civilisations, Jared Diamond passe au crible cinq grands facteurs qui affectent particulièrement une société, son adaptation, et son avenir :

  • la dégradation de l’environnement pour les besoins de cette société,
  • un changement climatique (par exemple une période de sécheresse prolongée, une période glaciaire, etc) qui affecterait l’agriculture ou la disponibilité de certaines ressources biologiques,
  • la présence de voisins hostiles et le déclenchement de guerres,
  • la perte de partenaires commerciaux vitaux pour le développement et la survie de l’économie,
  • les réponses (dimensions culturelles, religieuses, politiques) de la société elle-même aux problèmes environnementaux.

Il se trouve que pour l’île de Pâques, l’effondrement a très probablement été causé principalement par l’épuisement de ressources naturelles (les autres facteurs n’entrant que très peu ou pas en jeu). Les données archéologiques montrent la disparition totale des arbres aux alentours de 1600, l’extermination des 20 espèces d’oiseaux terrestres qui peuplaient l’île, l’épuisement des coquillages, et même des preuves de cannibalisme. Les habitants n’ont plus pu aller pêcher au large les dauphins et thons par absence de bateaux (plus d’arbres).

La compétition entre les 12 chefferies présentes sur l’île (non seulement absence de coopération et de gestion durable, mais de surcroît rivalité pour construire les plus grandes statues) a rendu possible cette dégradation environnementale jusqu’au-boutiste.

En plus de l’île de Pâques, vous trouverez l’étude de plusieurs civilisations dans le bouquin de Jared Diamond.

Certaines qui ont échoué, exemples :

  • Les Mayas d’Amérique centrale (dégradation environnementale, changement climatique et voisins hostiles) ;
  • Les Vikings du Groenland, dont la société s’est effondrée par la conjugaison des cinq facteurs, y compris le dernier (refus d’adaptation au moment de l’effondrement social)

D’autres qui ont réussi et survécu, malgré des défis environnementaux importants, exemples :

  • La minuscule île mélanésienne de Tikopia
  • La gestion des forêts du Japon de l’époque d’Edo

Pour vous procurer Effondrement de Jared Diamond, cliquez sur l’image ci-dessous :

livre effondrement

Histoire contemporaine de l’île de Pâques

Le culte de l’Homme Oiseau

Après l’apogée puis l’effondrement de la société Rapanui ont subsisté quelques clans de quelques centaines d’individus (par rapport aux 15 000 de l’apogée de la civilisation) et un nouvel ordre politique et culturel s’est mis en place. Le culte des statues va être abandonné au profit d’un nouveau culte zooanthropique, celui de l’Homme Oiseau.

En discutant avec le responsable du musée anthropologique P. Sebastian Englert, j’apprends l’existence d’une cérémonie bien étrange.

Au pied du volcan Rano Kau, une compétition départageait celui qui pouvait prétendre au titre d’homme oiseau ou Tangata Matu. Après avoir grimpé une falaise haute de 200 m, les participants se devaient de récupérer un œuf d’hirondelle et de le rapporter sur sa tête sans le casser. Le gagnant devenait alors l’incarnation vivante du dieu Make Make dont le privilège était alors de siéger aux côtés du roi de l’île. Le centre cérémoniel Orongo au pied du volcan Rano Kau renvoie à ces joutes spirituelles qui avaient lieu chaque année.

Les premiers contacts avec les Européens

L’île de Pâques a été « aperçue » pour la première fois par un explorateur hollandais en 1722, mais ce n’est qu’entre 1800 et 1864 que de vrais contacts ont eu lieu. Hélas pas pour le meilleur : conversion de force au catholicisme, introduction de maladies et rapt d’esclaves (en 1862, un marchand d’esclaves venu du Pérou captura 1500 autochtones) ont fini de décimer la population locale (seulement 111 survivants en 1877!!)

Après l’annexion de l’île par le Chili en 1888, il faut attendre la seconde moitié du XXe siècle pour que les survivants Rapanui retrouvent leurs droits et leurs libertés de culte, ainsi que leur langue désormais enseignée à l’école. Chaque année en février, l’île de Pâques ravive son patrimoine culturel lors d’un festival haut en couleurs, le Tapati Rapa Nui.

Conclusion sur la visite de l’île de Pâques

L’atmosphère de l’île de Pâques draine vraiment quelque chose de mystérieux et d’enchanteur, grâce aux colosses de basalte érigés un peu partout autour de l’île, et qui viennent rappeler cette histoire tumultueuse et passionnante que l’on vient d’évoquer.

ahu tongariki

Ahu Tongariki

Côté activités, la côte rocheuse et accidentée offre des spots de surf intéressants notamment à Hanga Roa. Amateurs de snorkeling, rendez-vous sur les plages Anakena et Ovahe.

PS : Je remercie chaleureusement Silvia et Loïc, amis Suisses rencontrés au Chili, pour certaines photos de cet article sur l’île de Pâques.

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