La vie d’un voyageur est faite de rencontres et d’opportunités, les opportunités se transforment en expériences, les expériences en souvenirs immuables, et les souvenirs, quand ils peuvent être couchés sur le papier et publiés, deviennent à leur tour des histoires qui pourront servir de témoignages au monde. Je laisse la plume à ma chère amie Maluna (originaire des Vanuatu), qui a eu la chance unique de pouvoir se rendre en Papouasie Nouvelle Guinée à bord d’un voilier… Merci à elle pour ce récit de voyage hors du commun.

C’est d’une rencontre lors d’un voyage en Asie qu’est née mon aventure marquante en Papouasie Nouvelle Guinée. J’ai rencontré cette famille de 4 sympathiques français (les parents et deux enfants de 7 et 10 ans) lors de mon séjour sur Apo island. Ils étaient en tour du monde avec leur voilier pendant 3 ans! Au fil d’une conversation sur les destinations insolites, la Papouasie Nouvelle Guinée est naturellement venue au menu, et de là leur proposition que je les rejoigne plus tard pour une croisière de 15 jours là-bas, car ce pays, ou plus exactement ses côtes et îles perdues, était au programme de leur fabuleux tour du monde.

Départ de la capitale de la Papouasie : Port Moresby

Deux mois plus tard, j’ai dû prendre mon billet d’avion pour Port Moresby, la capitale de la Papouasie, sans savoir exactement à quelle date j’allais rejoindre mes compagnons de mer. Le lieu était connu : Alotau, dans la province de Milne Bay, mais la date était approximative, les aléas de la navigation passant par là. Ne voulant pas m’attarder à Port Moresby, connue pour être une capitale très dangereuse, je m’envole directement pour Alotau, à la pointe sud-est de la Papouasie.

Là, tous les jours, je fais une visite au port pour m’enquérir de l’arrivée d’un voilier de plaisance du nom de Posidonie. Ce n’est qu’après trois jours que je vois débarquer mes amis, en pleine forme bien qu’ayant expérimenté une tempête violente au large de Bornéo.

Iles Trobriand

Les îles Trobriand, et plus précisément l’île principale de Kiriwina, la plus peuplée, marquent la première étape de notre croisière en Papouasie Nouvelle Guinée.

Kiriwina : un accueil touchant des Trobriandais

Quel accueil lorsque nous débarquons sur la plage du premier village sur l’île de Kiriwina!

La population se jette littéralement sur nous pour nous serrer la main, nous toucher les cheveux, les bras, les joues, le nez, etc

C’est bien plus intense qu’un bain de foule en période électorale..!

Les 2 enfants français sont couverts de bisous de la part des mamas locales!

kiriwinaJe m’attendais à des plages de sable blanc, des forêts vierges, des lagons intactes… J’ai vu tout cela certes. Mais je n’imaginais pas recevoir un tel choc du contact avec les Trobriandais, leur chaleur humaine, leur euphorie et leur joie de vivre!

Mais mes surprises ne vont pas s’arrêter là : la culture des Trobriandais est si différente de la nôtre dans l’organisation des liens sociaux, et dans sa conception de la sexualité !

Le mode de vie simple et proche de la nature des habitants de l’archipel des îles Trobriand cache en fait une grande complexité et subtilité dans les rapports humains, à commencer par l’igname, au centre d’un système de dons et de prestations.

Culture de l’igname

igname cultureL’igname est non seulement la base de l’alimentation des habitants des îles Trobriand (pêcheurs, artisans, mais avant tout horticulteurs), mais est également au centre de la vie sociale, politique, rituelle. Les surplus sont échangés avec les archipels voisins, et un système de prestations régit la vie communautaire. Ainsi, la coutume veut qu’un homme donne chaque année au mari de sa soeur la meilleure partie de sa récolte. Le don cérémoniel d’ignames tisse des liens très importants entre fratries.

C’est ce que nous explique, dans un anglais très approximatif, le chef du village, qui possède par ailleurs la plus grande Igname House de la communauté.

Ces Ignames Houses sont des greniers, richement décorés, assurant la subsistance des Trobriandais pour l’année à venir.

Ils sont disposés en anneaux, ils constituent en fait l’anneau intérieur du village de forme concentrique. L’anneau extérieur comprend les habitations. La place centrale (au centre de l’anneau intérieur) est dévolue à la danse, au cimetière et à la maison et igname house du chef. C’est là que se célèbrent toutes les fêtes publiques et…coquines (voir plus loin).

Monnaie en Papouasie Nouvelle Guinée : chaque village fabrique sa propre monnaie sur les îles Trobriand !

Normalement, la monnaie en Papouasie Nouvelle Guinée est le Kina (qui sert pour les produits importés). Mais ici, le système est différent. Pour les produits locaux, les îles Trobriand ont leur propre monnaie, et les familles fabriquent, avec des feuilles de bananiers aux motifs variés, la monnaie qui leur est nécessaire à l’achat des denrées de base. Ne me demandez pas comment cela fonctionne… mais ça fonctionne.

Iles Trobriand : les îles de l’amour

trobriandaisComme vous l’aurez compris, les Trobriandais ont une conception du commerce complètement différente de la nôtre : leurs échanges matériels reposent davantage sur du troc et se composent uniquement des choses qui leur sont utiles, voire indispensables, pas de place pour le luxe ou le superflu.

Plutôt que de passer leur temps à gagner de l’argent pour s’offrir des choses matérielles plus ou moins inutiles, ils ont préféré développer leur compétences dans l’art de l’amour

Erotisme de la société trobriandaise

La sensualité et l’érotisme font partie très tôt de la vie des jeunes Trobriandais, c’est une partie intégrante de leur éducation. Les intrigues et les expériences amoureuses sont considérées comme nécessaires pour faire le bon choix de partenaire.

trobriandLes enfants et adolescents jouissent ainsi d’une grande indépendance et liberté sexuelle, dès la puberté.

Le jeu des enfants, même les plus jeunes, est teinté d’un sens aigu du romantique. Les petits garçons recherchent des insectes, des fleurs rares qu’ils offrent aux petites filles, imprimant ainsi une certaine esthétique à leur sensualité précoce.

Ensuite, vers 12 à 14 ans, les garçons, ayant atteint une bonne maturité sexuelle, quittent la maison de leur parents et rejoignent une maison de célibataires ou de veufs. De même pour les filles.

Il est rare que les garçons et les filles s’affichent en public, à la manière de couple. Les représentants des deux sexes s’arrangent des parties de campagne nocturnes, ou se côtoient intimement, de manière non exclusive, lors des nombreuses cérémonies festives qui ont lieu dans leur village, ou dans d’autres.

Les fêtes et célébrations sur l’île de l’amour

Lors de ces fêtes, les plus grandes ayant lieu à la fin des récoltes d’ignames et marquant la fin d’un travail harassant dans les champs, un étonnant ballet de séduction et de libertinage a lieu. Les Trobriandais, hommes et femmes, utilisent beaucoup leur imagination dans les jeux de l’amour, dans les démarches, les approches de séduction.

iles trobriand

Ils entonnent des chants très coquins et sexualisés (« Mords donc mes cils et mes lèvres du bas ! »), dansent en mimant l’acte sexuel, dans un rythme endiablé, avant de disparaître deux par deux dans l’obscurité accueillante de la jungle…

Assister à l’une de ces festivités nocturnes donne le tournis, c’est un peu comme si tous les tabous de notre société occidentale tombaient d’un seul coup, dans un tourbillon à la fois esthétique, naturel et joyeux.

Trobriand : une société non violente

Toute forme de violence est extrêmement mal perçue aux îles Trobriand.

les papous

Une cohésion sociale forte est assurée notamment par :

  • les festivités sans tabous (autres que celui de l’inceste),
  • les occasions d’aimer d’autres partenaires sans briser la relation conjugale,
  • l’imagination développée dans l’utilisation de la nature non transformée par l’homme et dans la recherche des plaisirs intimes.

Iles Trobriand : une société matrilinéaire

Le habitants des îles Trobriand ont une croyance bien particulière sur la conception de l’enfant, qui a des influences ensuite sur toute l’organisation de la société : la mère serait ainsi le seul et unique contributeur à la conception du corps de l’enfant, le père n’ayant aucun rôle physique dans l’histoire…

De ce fait, la mère est le point de départ de toutes les relations sociales et légales qui règlent la descendance. La société est dite matrilinéaire.

papousLe système du droit matriarcal qui régit toute la vie sociale des habitants est complexe : les conceptions de l’amour, du mariage et de la parenté sont très différentes des nôtres.

L’anthropologue Bronislaw Malinowski a étudié de près ces coutumes et en a fait un résumé complet dans ce livre : La Vie sexuelle des sauvages du nord-ouest de la Mélanésie.

Je ne l’ai personnellement pas encore lu, mais je vous donne la référence si vous souhaitez aller plus loin car c’est l’une des seules en la matière.

Louisiades : paradis terrestre

Les îles perdues

Quittant à regret les îles Trobriand qui suscitent encore beaucoup d’interrogations en moi, notamment à propos de l’organisation des mariages et des liens entre enfants et parents, nous nous dirigeons vers un archipel du bout du monde, les Louisiades. Elles ont été nommées ainsi par Louis Antoine de Bougainville en 1768 en hommage au roi de France Louis XV.

Panasia island, sable blanc sur un lagon turquoise

Je n’ai jamais vu un endroit aussi préservé et correspondant autant au cliché d’un paradis terrestre. Nous avons peut-être quitté un paradis humain avec les îles Trobriand, pour nous retrouver sur un paradis naturel avec les Louisiades.

La photo en couverture de ce récit de voyage correspond à Panasia island, mais je ne résiste pas à en partager une autre avec vous, prise à marée basse où des langues de sable pur apparaissent.

paradis terrestre

La vie corallienne et aquatique dans cet archipel méconnu est tout simplement merveilleuse, une explosion de vie nous entoure à chaque fois que nous chaussons nos masques et tubas.

Nous restons une semaine à caboter entre les îles, entre barbecues sur les plages, spectacles du soleil couchant et randonnée palmée. Absolument seuls, pas un visiteur, pas un autre touriste.

J’aurais aimé explorer chaque île de cet archipel, rencontrer leurs habitants, parfois ermites vivant seuls sur une petite île (!), mais l’heure du retour à Alotau arrive trop vite.

Retour à la réalité crue

les iles perduesJe suis complètement bouleversée par ce séjour en terres inconnues, et mes compagnons de voyage également. Une impression d’avoir vécu une sorte de rêve, que tout cela n’existe pas vraiment.

Je me réveille dans la moiteur crasse d’une ville bruyante et polluée, pour prendre un avion qui m’effraie par ses vrombissements mais me berce d’une douce pensée… comment vais-je m’organiser pour retourner en Papouasie Nouvelle Guinée ?

Maluna

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