Mon premier 6000 … ce sera celui-là, le volcan Parinacota. Hors des sentiers battus (les agences n’ont des demandes que deux fois par année), dépassant allègrement les 6000 (6348m, d’après wikipedia), avec un joli cratère au sommet. Tranquillité garantie, et frissons aussi.
Je m’en vais donc voir une agence spécialisée de La Paz pour organiser l’expédition, et choisir un guide. Il s’appelle Mario, surnom « Super Mario ». Véridique. Espérons qu’on va, comme dans le jeu, exploser tous les points d’interrogation qui jalonneront notre parcours.
Où se situe le volcan Parinacota?
Pour planter le décor, le volcan Parinacota est en plein coeur du parc national Sajama (qui abrite aussi le volcan du même nom, plus haut sommet de Bolivie avec 6542m), à 4h de route de La Paz. Le Parinacota est « jumeau » (car juste à côté) avec un autre volcan, le Pomerape (6240m), comme on peut le voir sur la photo ci-dessous (le Parinacota est à la gauche).
Logistique hasardeuse pour arriver au pied du volcan Parinacota
Premier dérapage, le taxi qui doit nous conduire au pied du volcan perd nos sacs à dos en pleine rue. Pendant une montée (La Paz est une ville rès pentue), le coffre s’est ouvert. Heureusement, un véhicule derrière a sonné le klaxon. On fait demi-tour, et on repasse à l’offensive avec 15 min de perdu.
Deuxième escarmouche, après 3h30 de route, un pneu du taxi explose en doublant un camion. Une bonne demi-heure pour changer la roue.
Troisième réjouissance, le chauffeur se perd dans le parc, et prend un mauvais chemin. Le guide ne peut pas l’aider, il ne vient pas souvent faire le Parinacota. Une heure de course d’orientation.
Enfin, le quatrième obstacle sera fatal au taxi : il reste embourbé dans le sable, à quelques kms du but. On essaie tout : le soulever au cric pour mettre des pierres sous les roues, Super Mario et moi poussons, on a même fait une sorte de route de pierres sur 100m pour ne plus qu’il s’enfonce, rien n’y fait, il se recolle au sable après chaque tentative. Après 1h30 d’efforts, et le crépuscule qui pointe (on devait mettre 4h, on en a mis plus de 7) il faut se résoudre à abandonner le véhicule : le chauffeur part à pied chercher de l’aide au village de Sajama, à environ 15 kms, Mario et moi commençons la randonnée avec 3h de plus à parcourir.
Le problème, c’est que Mario commence à sortir tout l’attirail de campement, et qu’on est que deux pour porter tout ça. Il me refile 3 bouteilles d’eau de 2 litres (il ne sait pas que j’en ai déjà 4 litres au fond de mon sac), une tente, et un sac de nourriture. Avec tout l’équipement de haute montagne, et le sac de couchage, j’ai un mal fou à mettre le sac sur mon dos, ça doit bien faire 30 kgs.
Je me dis que les porteurs du Népal transportent jusqu’à 50 kilos toute la journée… je peux bien porter 30 kilos pendant 3h. C’est la moitié de mon poids. Je ne suis donc pas encore en mode fourmi. Plutôt en mode mule.
Comment se déroule l’ascension du Parinacota
On plante les tentes à 4600m d’altitude environ, à la frontale. Mario m’explique que nous partirons cette nuit, car du grand vent est annoncé pour demain en fin de journée. C’est plutôt une mauvaise surprise : il va falloir faire 1748m de dénivelé d’une seule traite… Lever prévu à 1h et départ à 2h, la nuit sera donc d’environ 5h.
La nuit la plus longue…
Cela peut paraître court, mais elle m’a semblé très longue. Le froid, les pierres, l’altitude, et l’excitation du départ m’ont subtilisé tout sommeil.
Après le dîner rapidement pris, j’ai prudemment refusé le thé que me proposait Mario : s’il y a bien une chose dont je n’avais pas envie, c’est de me lever en plein milieu de la nuit pour uriner par – 10 °C. Anticipation et gestion 😉
Il existe un phénomène cosmétique pas agréable du tout avec l’altitude : prenez un produit visceux, par exemple un tube de dentifrice. La faible pression ambiante, par rapport à la pression à laquelle il a été ouvert la dernière fois, provoque à l’ouverture sa sortie complètement incontrôlée hors du tube. Il doit y avoir un phénomène similaire avec le corps humain. J’ai l’impression d’être un tube géant de dentifrice gazeux. Je gère mes fluides, mais pas mes gaz.
Le sac de couchage fourni par l’agence n’est pas bien épais, et la tente petite. Je ne suis pourtant pas bien grand. Si je me mets sur le dos, mes pieds touchent le bout de la tente et le froid vient les geler. Si je me mets sur le côté, ça ne va pas non plus : mes fesses touchent le bord de la tente et le froid arrive, et en plus, les pierres du sol me font mal au bout d’un moment. Je comprends que je ne vais pas dormir, je ne suis pas vraiment fatigué de toute façon, ce doit être l’excitation : cela fait longtemps que je rêve d’un 6000.
Je décide de lire le livre de poche que j’ai apporté, pensant que les soirées seraient longues. Un compagnon de voyage m’a donné il y a deux jours l’excellent livre de Mike Horn : Latitude Zéro, dans lequel il raconte comment il a fait le tour du monde en 17 mois, en suivant la ligne de l’Equateur. J’en suis à la page 53, lorsqu’il décrit qu’il se balade à poil dans son bateau tellement la chaleur est étouffante… je me gèle, ça m’énerve. Je le referme sans même avoir fini la page.
Suivie du jour le plus long…
Arrive enfin l’heure du lever. Mario est surpris que j’ai déjà les yeux ouverts. Je lui dis qu’il a trop ronflé héhé. On prend le petit déjeuner et on y va, sur fond de bruitages du jeu Super Mario, que j’entonne dans un enthousiasme naïf. Ca ne va pas durer…
La première partie, jusque 5100m, se déroule sans problème, c’est une longue pente douce et sablonneuse, bienvenue à la playa, qui nous amène entre les deux volcans.
Puis à partir de 5100 m d’altitude, on bifurque vers le Parinacota, et on enchaine des zigzags interminables dans un pierrier abrupt, bienvenue dans la roche volcanique.
Lentement, on approche des 6000, le soleil se lève entre temps, laissant apparaître petit à petit un paysage somptueux. A gauche, le volcan Sajama, coiffé d’un sombrero de nuage à l’aube.
Derrière moi, le volcan Pomerape, d’abord sombre et inquiétant, puis laissant apparaître sa blancheur glacière.
Sur la droite, le Chili et le parc Lauca.
On m’avait dit qu’aux alentours de 6000m d’altitude, chaque pas devient un calvaire. Je le constate par l’expérience. Je suis obligé de m’arrêter tous les 4 à 5 pas pour reprendre mon souffle.
Quand j’arrive au pied de la partie glacée du cône, je suis déjà au bout de mes forces… Après avoir chaussé les crampons et sorti le piolet pour l’affronter; il va donc me falloir aller au bout du bout. Physiquement, aller chercher des ressources au-delà du Snicker que je viens d’avaler : dans le steak de lama que j’ai mangé il y a deux jours à La Paz. Mentalement, dans la page de mon blog où je dois cocher l’objectif « sommet de plus de 6000 ».
Après déjà 6h de marche, c’est parti pour la partie glace et crampons. La particularité du Parinacota, c’est qu’il est recouvert de sortes de stalagmites de glace, appelés pénitents. C’est difficile à gérer. Il ne suffit pas les aplatir du poids de son corps pour les franchir, ils sont très durs, il faut donc les contourner ou les chevaucher. Ce n’est plus chaque pas qui est un calvaire, c’est chaque mouvement.
Je ferme les yeux, pour me concentrer et économiser un peu d’énergie mentale.
A ce moment, je me souviens d’un livre d’Alexandre Jardin : Le Zèbre. Le personnage principal est atteint d’un cancer du cerveau, et ses sens disparaissent un à un dans les derniers jours. Pour lui, le dernier des 5 sens qui l’accompagne est l’odorat, qu’il décrit comme le sens le plus puissamment mnésique et qui lui réserve de bonnes surprises jusqu’à la fin.
Pour moi, c’est l’ouïe. Le toucher m’a quitté depuis longtemps à cause du froid et de toutes les couches pour m’en protéger. L’odorat? Inerte : j’ai le nez qui coule et de toute façon il n’y a rien à sentir. Le goût, glacé par l’air ambiant. Les yeux viennent de se fermer.
Restent le bruit de mes mouvements saccadés sur la glace, et celui du vent. C’est tout ce que je ressens, sensitivement parlant, en ce moment.
Je ne sais pas combien de temps s’est écoulé sur la glace quand un mal de tête vient frapper à la porte de mon crâne. D’abord lancinant, il devient de plus en plus insistant, signe d’un mal aigu de l’altitude.
Je sens que je suis au bout du bout du bout, et qu’il n’y a plus de bout. J’ouvre les yeux pour voir où j’en suis. Pas encore en haut. Je demande au guide : 6100m. J’ai à peine parcouru 100m du cône glacé sans parfum.
Je suis dépité, je fais signe à Super Mario que je suis « game over » et que je n’atteindrai pas le dernier niveau. Je ne suis pas là pour me griller la cervelle, et puis, j’avais promis à ma mère que je m’arrêterais en cas de symptôme de mal de l’altitude. 248m, ça peut paraître peu, mais à cette altitude, c’est une montagne à part entière.
Je donne l’appareil à Mario pour qu’il prenne une photo de moi presque au sommet. Ca va, les larmes de déception ne sont pas visibles derrière les lunettes de soleil.
Descente laborieuse dans le pierrier infernal du Parinacota
Plus je descends, et plus je me dis que j’ai bien fait d’arrêter : il faut garder quelques forces pour la descente. Le mal de tête me poursuit, et la fatigue me pèse. Ce pierrier est vraiment infernal. Je tombe plusieurs fois (Mario aussi d’ailleurs), heureusement en arrière. J’ai le pied lourd (nous avons en effet fait toute la rando avec les bottes rigides d’escalade de glace, trop lourd de transporter deux paires de chaussures) et de grosses pierres glissent et se fracassent vers le bas, m’obligeant à avertir Mario, toujours un peu en avance, du danger.
Enfin, à 14h, sous un vent violent (le fameux vent qui nous a obligé à partir si tôt), nous arrivons à la tente, après 12h d’expédition, sans avoir mangé autre chose que deux Snickers pour deux.
Je me jette littéralement dans la tente, et ni le bruit de la tempête dehors, ni le sol dur comme de la pierre ne parviennent cette fois à troubler mes … rêves de sommet.