Dans un monde en pleine mutation, évoluant de plus en plus rapidement d’une hégémonie anglo-saxonne à une multi-polarité avec des grands ensembles économiques régionaux puissants (Amérique du Nord, Amérique du Sud, Europe, Asie du Sud-Est, etc), il est utile de se pencher sur les grandes tendances qui vont remodeler le paysage linguistique mondial. A avoir en tête au moment d’un choix d’apprentissage d’une langue étrangère pour soi ou son enfant, en vue d’une carrière internationale ou d’un voyage long terme 😉
Le paysage linguistique actuel
Actuellement, les onze principales langues mondiales par nombre de locuteurs sont : le chinois, l’anglais, l’espagnol, l’arabe, l’hindi, le russe, le portugais, le bengali, le français, l’allemand, et le japonais.
Parmi ces onze langues, seules quatre aujourd’hui ont vraiment un statut international, étant parlées sur plusieurs continents et/ou utilisées par des locuteurs d’autres langues pour communiquer à l’international : anglais, français, espagnol et arabe.
Mais dans une génération, les tendances à l’oeuvre ces dernières années vont modifier cette situation, comme on va le voir plus loin.
Pédagogie : Comprendre les 3 bases de la dynamique internationale d’une langue
1. Ancrage historique : L’expansion ou le reflux d’une langue à l’international est directement liée à la puissance et à l’attractivité de sa culture d’origine.
La montée en puissance économique, commerciale et militaire d’un pays contribue à projeter sa langue à l’international du fait même de son aptitude à imposer sa langue dans les discussions de toute nature (commerce, diplomatie,…) du fait de l’attractivité neuve de sa langue identifiée à la modernité, et du fait de ses moyens économiques et financiers qui s’attachent tout naturellement les services d’élites prêtes à utiliser la nouvelle puissance pour servir leurs propres intérêts.
Ce fut le cas de l’Espagnol au XVI° siècle, du Français à partir du XVII° siècle, puis de l’Anglais au XIX° et enfin de l’Américain (à distinguer de l’Anglais British en tant que vecteur culturel) dans la seconde moitié du XX° siècle.
Le Chinois effectua un parcours identique dès l’Antiquité, agrégeant les populations chinoises et allogènes autour du Mandarin. Le Russe, après 1945, fut imposé aux pays du bloc soviétique. L’Arabe se répandit sur trois continents dès le 7° siècle du fait même de sa dynamique militaire et culturelle (islam).
2. Les peuples imposent toujours in fine leurs choix linguistiques à leurs élites.
(Ceci est d’autant plus vrai de nos jours où les conquêtes militaires avec éradication démographique et culturelle sont plus rares)
Ce sont les peuples qui, par leur choix et leur usage, font et défont les dominations linguistiques. Ce ne sont que très peu les élites et leurs politiques qui dirigent ces dynamiques.
De multiples exemples :
- En Europe, la disparition du Latin à partir du XVIe siècle.
- Le reflux du Russe dans les ex-pays de l’Union Soviétique (après 1989), même s’il reste la langue de communication transnationale de l’Asie Centrale.
- Le Vietnam, où mille ans de domination chinoise n’ont pas empêché l’affirmation d’une langue vietnamienne spécifique.
- En Asie toujours, le « filipino » (en fait le Tagalog, langue parlée avant la conquête espagnole), est aujourd’hui la langue officielle des Philippines en parallèle avec l’Anglais.
- En Amérique du Sud, le Quechua, ancienne langue des Incas, loin d’avoir disparu, se renforce et, avec treize millions de locuteurs, elle est désormais la troisième langue du sous-continent derrière l’Espagnol et le Portugais.
- En Inde, le Hindi parlé par plus de 400 millions d’Indiens. De même le développement de l’Indian English, qui s’écarte de plus en plus de l’Anglo-Américain standard et intègre nombre de mots et expressions linguistiques d’autres langues du pays, constitue bien l’émergence d’une langue populaire s’imposant aux élites.
3. L’inertie de la prédominance linguistique est une force essentielle
L’inertie joue en faveur des langues dominantes existantes au détriment de celles qui émergent. En effet, le potentiel d’enseignement linguistique (réseaux d’écoles, de professeurs, …), de vecteurs linguistiques (livres, TV, chansons, …), le potentiel discriminatoire professionnel (obligation de parler/écrire cette langue pour faire carrière), l’ancrage dans les institutions internationales (structures à évolution très lente), … tout cela joue en faveur du statu quo.
Une langue internationale émergente, outre sa puissance montante, doit progressivement surmonter ces différents obstacles pour s’imposer.
Les 3 nouvelles tendances qui vont rebattre certaines cartes
1. L’influence d’internet sur les langues
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L’Internet permet de se passer de nombres d’intermédiaires dont la formation et l’installation prenaient traditionnellement plusieurs décennies (création d’écoles, lenteur de la formation des enseignants à l’étranger, …)
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Il modifie également un aspect essentiel du rapport entre langue véhiculaire internationale et nombre de locuteurs. Jusqu’à présent, une langue pouvait être parlée par une population très importante et ne pas être une langue internationale, comme le Chinois au niveau mondial ou l’Allemand en Europe. Il y avait une déconnexion complète entre les deux caractéristiques : la dispersion géographique déterminait essentiellement la capacité à être une langue internationale et non pas le nombre de gens parlant une langue.
Sans pour autant faire disparaître cette caractéristique, Internet en modifie néanmoins les termes : le poids d’une langue (nombre de locuteurs) se fait désormais directement sentir sur toute la planète.
Ainsi, il y a seulement une dizaine d’années, l’Anglo-américain représentait 90% des contenus d’Internet. Aujourd’hui cette proportion est tombée à 40% et l’Anglo-américain se trouve talonné par le Chinois qui devrait passer en première position dans les deux ans à venir, sachant que le taux de croissance du Chinois sur Internet (2000-2010) est de 1200% contre seulement 280% pour l’Anglo-américain. Or ce poids linguistique se reflète directement sur Internet via l’accroissement exponentiel du nombre de sites, de services, de documents disponibles sur toute la planète, offrant soudain une prise de conscience globale de l’importance de la langue concernée et donc renforçant rapidement son attractivité.
Ainsi, Internet ne crée pas la dynamique vers une langue internationale nouvelle, mais il accélère considérablement le processus en question.
2. La mobilité des personnes physiques à une échelle globale
La jeunesse et sa mobilité représentent les facteurs qui s’opposent traditionnellement aux forces d’inertie en matière linguistique. Les diasporas (chinoise, philippine, arabe, …) jouent un rôle-clé pour répandre leurs langues au niveau mondial. Et en la matière, Internet est justement le vecteur de communication par excellence des générations montantes.
3. Les tendances spécifiques à chaque langue
– Espagnol : Il va bénéficier grandement du développement socio-économique de l’Amérique du Sud et de son expansion démographique. Le bilinguisme Anglais/Espagnol qui sera effectif aux Etats-Unis d’ici 2030 constituera bien entendu un formidable coup de pouce international à cette langue.
– Tagalog : L’Asie du Sud-Est, avec l’ASEAN, réunit plus de 500 millions de personnes en pleine ascension socio-économique, et constitue une région-clé pour les décennies à venir. Et le Tagalog est la langue par excellence pour communiquer avec cette région, dont les diasporas se retrouvent désormais sur tous les continents.
– Français : C’est la langue à la progression du nombre de locuteurs la plus importante grâce au dynamisme démographique africain. D’ici 2050, l’Afrique comptera 500 millions de francophones, du fait de la forte natalité du continent, et constituera la principale base régionale de la langue. Il bénéficiera aussi de l’augmentation rapide de la classe moyenne africaine.
– Russe : Outre ses bases régionales et sa présence établie dans les institutions internationales, le Russe va s’imposer comme la « langue-pont » entre l’Europe et l’Asie, la positionnant sur un axe géopolitique majeur du XXI° siècle.
– Arabe : Il va subir une double révolution dynamisant son utilisation : celle liée à l’évolution démocratique, et celle liée à l’importance de cette langue dans les populations immigrées en Europe. Le positionnement géostratégique des zones de langue arabe renforcera cette importance.
Conclusion : à l’horizon 2030, quelle langue apprendre pour l’avenir?
Les langues véhiculaires mondiales à l’horizon 2030 possèderont toutes un bassin régional privilégié où elles seront dominantes et une dimension internationale caractérisée par une présence multi-continentale. Elles possèderont aussi un poids important sur Internet (au moins 10% du volume linguistique d’Internet).
On peut donc les classer en deux groupes : d’une part, les langues présentes sur presque tous les continents et possédant des bases régionales importantes ; d’autre part, des langues présentes sur plusieurs continents possédant des bases régionales particulièrement puissantes.
1. Langues véhiculaires internationales avec base régionale importante
Anglais (base régionale : Amérique du Nord/Asie du Sud-Australie), Chinois (base régionale : Asie de l’Est), Français (base régionale : Europe, Afrique), Espagnol (base régionale : Amérique du Sud, Centrale et du Nord, Europe).
2. Langues véhiculaires régionales avec forte dimension internationale
Tagalog (base régionale : Asie du Sud-Est), Russe (base régionale : Europe orientale-Russie-Asie centrale), Arabe (base régionale : monde musulman).
3. Focus sur les deux langues dominantes
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La montée en puissance du Chinois (= Mandarin) va constituer la tendance lourde de ces prochaines années. On peut d’ailleurs constater que Pékin exige désormais que, dans un nombre croissant de secteurs, les cadres dirigeants des entreprises multinationales implantées en Chine parlent couramment le Chinois. La maîtrise de cette langue constituera donc un atout durable et discriminant professionnellement d’ici 2030.
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L’anglais restera dans une niche internationale puissante. Mais il fait face à une telle offre qu’il n’est plus discriminant et ne constitue donc pas une valeur ajoutée en terme professionnel (surcapacité linguistique). Il faut donc investir a minima dans l’étude de cette langue car qui dit surcapacité dit maîtrise générale exigée de niveau assez moyen ; et surtout ne pas le faire au détriment de langues possédant elles des vertus discriminantes au niveau professionnel.
Et ayez cela en tête : les langues étrangères, c’est le seul enseignement dans une vie qui reste utile 20, 30, 40 ans après.
Le reste (ex : technique, marketing, comptabilité, etc etc) est vite rendu obsolète par deux facteurs :
- le progrès scientifique ou l’évolution des règles (d’où une remise à niveau indispensable).
- les choix personnels / opportunités de carrière et de reconversion professionnelle.
Note : J’ai écris cet article à partir des travaux du Laboratoire Européen d’Anticipation Politique (www.leap2020.eu) dont j’ai suivi la formation en 2013.
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Merci pour ta réponse sur Novo-monde et merci de m’avoir permis de déccouvrir ton site. Article très intéressant : il faudra que j’explore quelques pistes. J’ai, quant à moi, écrit un article sur « pourquoi apprendre une langue étrangère ? » mais beaucoup moins sérieux que toi.
Article très intéressant. J’aime rencontrer les gens lorsque je voyage et pour cela il faut pouvoir communiquer avec eux. Et la barrière de la langue peut être importante.
Pour moi il faut rajouter un point important lorsque l’on apprend une langue, c’est d’aimer cette langue, le pays ou la culture, car quand bien même vous travaillerez d’arrache pied cette langue « importante ». Si vous ne l’aimez pas vous n’y arriverez pas. Enfin c’est mon avis !
Et bien entendu pour apprendre une langue il faut aller dans un pays où cette langue est parlée. Tellement plus simple et intéressant !
Moran du blog de voyage Rencontre le Monde.
Salut Moran! C’est sûr qu’aimer la nouvelle langue qu’on apprend est idéal. Mais il y a aussi un aspect pratique et moins sympa qui est l’usage plus ou moins répandu de cette langue. Et il est très important, voir plus important que l’amour de la langue. Si je prends mon cas personnel, je n’aimais pas particulièrement l’anglais!! Et pourtant c’est aujourd’hui la langue étrangère que je maîtrise le mieux car elle m’est la plus utile…:-(
Personnellement je parle le français, l’arabe, l’anglais et maintenant j’apprends le japonais et toutes ces langues me servent énormément en voyage.
Analyse très intéressante. En tant que prof de chinois et travaillant beaucoup sur l’e-learning (mon site : http://www.cours-de-chinois.com) j’ai fait un gros pari en m’orientant vers les nouvelles technologies.
Un phénomène que je trouve étrange : la France est le premier pays européen pour l’apprentissage du chinois (environ 100 000 apprenant en tout en France, dont plus de 40 000 dans le secondaire d’après ce que j’ai entendu au dernier séminaire des classes internationales de chinois à Montpellier.) Mais je n’ai pas l’impression que les Français réalisent vraiment l’importance qu’a déjà la Chine et encore moins celle qu’elle aura dans le futur.
Donc, questions : Gaël, comme tu voyages et que tu rencontres pas mal de monde, quelle est la prise de conscience dans les autres pays ?
C’est (logiquement) en Asie que la prise de conscience de la future place prépondérante de la Chine est la plus forte. Des jeunes d’Indonésie ou des Philippines vont apprendre le chinois en Chine par exemple. L’intérêt est surtout dans le tourisme : ces 5 dernières années, la part des Chinois dans le tourisme de ces pays est passé de moins de 10% à plus de 30%! Cette tendance toute récente est amenée à se renforcer énormément dans le futur proche et il y a un vrai potentiel de travail pour les personnes qui parlent chinois dans toute l’Asie du Sud-Est.
Les Australiens en sont aussi un peu conscients. Quand je discute avec eux de l’apprentissage des langues, ils me disent : si on devait apprendre des langues étrangères, les plus utiles pour nous seraient le chinois et le japonais. Mais concrètement, ils ne connaissent que l’anglais (comme la plupart des Anglo-Saxons d’ailleurs).
Quand à l’Amérique du Sud, aucun lien avec le chinois. Ils sont plus fascinés par l’Europe (d’autant plus que les délivrances de visas, notamment étudiants, ont beaucoup été facilitées ces dernières années), et se tournent donc plus vers l’anglais, le français, l’allemand.
Merci pour la réponse !
Bref, ce n’est pas encore la ruée vers le chinois.
Il faut aussi voir si les chinois arriveront à publier des articles scientifiques et culturels de qualité (et en quantité) en mandarin. Pour l’instant, malgré l’énorme volume d’information du web chinois, je trouve toujours plus d’articles intéressants en anglais (étymologie, statistique sur la langue, etc.) Ils ont encore pas mal de boulot…